La pratique de l’écoute active, sur laquelle l’on mise beaucoup dans l’univers associatif, prend différentes formules : relations d’aide à distance (hotlines), entretiens face-à-face, visites dans des cadres hospitaliers… Les bases de l’écoute restent néanmoins les mêmes et visent à amener la personne à mettre des mots sur ses émotions et à se sentir entendue ! Et puis, certaines personnes en souffrance émotionnelle nécessitent parfois une écoute plus approfondie par des professionnels certifiés.
Depuis ces 13 dernières années, Anne-Marie Bhurtun consacre quatre heures par semaine à son rôle d’écoutante-bénévole pour l’association Link to Life et auprès de patients, adultes et enfants, atteints de cancer. Une implication lourde de sens pour elle qui, en 2006 et 2007, luttait elle-même contre un cancer. Quand elle a un jour manifesté son intérêt de s’engager auprès de Link to Life, elle avait devant elle plusieurs options de volontariat et les visites de patients lui convenaient parce qu’elle n’habite pas loin de l’hôpital Victoria à Candos.
Elle comprend vite qu’être écoutant est une pratique qui s’apprend et qui demande des techniques particulières. « Il faut une écoute confidentielle, bien calculer les mots que nous allons utiliser. Par exemple, nous ne pouvons pas approcher un patient et lui dire : « Bonjour, vous avez le cancer ? ». C’est à lui de dire ce qu’il choisit de dire. Nous sommes des écoutants, nous ne sommes pas là pour parler à sa place. S’il ne souhaite pas parler, on le laisse tranquille jusqu’à ce qu’il soit prêt. »
Pour Emmanuel Maurice, Psychothérapeute qui travaille avec Link to Life et encadre le groupe d’écoutants-bénévoles de l’ONG, le premier rôle d’un écoutant est d’amener une présence empathique, sans jugement et neutre. « Lors des formations que nous faisons avec les écoutants, nous mettons l’accent sur la capacité à être avec la personne. Il n’est pas important que vous parliez beaucoup ; c’est la présence qui compte. Après, il y a des techniques qui aident la personne à développer davantage son récit. »
Être à l’écoute des émotions de la personne en face est primordial dans la pratique de l’écoute, explique Emmanuel Maurice. « Par exemple, si le patient demande si nous pensons qu’il va guérir avec la chimiothérapie et que nous répondons « oui », nous ne sommes pas à l’écoute de ses émotions. » Dans cette question, poursuit-il, il y a le sentiment de crainte, que l’écoutant doit déceler et sur laquelle il doit se focaliser.
José Emilien, Président de l’ONG Befrienders Mauritius, qui gère un service d’écoute ouvert aux personnes en détresse émotionnelle dans une optique de prévention au suicide, abonde dans le même sens. « Les faits ne sont pas importants, nous n’essayons pas de savoir ce qui est logique ou pas, nous les amenons à identifier les émotions qui les animent » ; écouter, oui, mais écouter surtout les émotions qui se cachent derrière.
Donc, un écoutant accompagne la personne et le guide dans sa réflexion sur ses propres solutions, poursuit M. Emilien. « En les recevant en appels ou en face-à-face, nous tentons d’amener la personne à retrouver sa résilience pour faire face au problème qui se présente à lui et accepter les situations. Nous ne sommes pas là pour leur donner quelque conseil et les entretiens peuvent prendre plusieurs séances !
Et dans l’autre sens, une « mauvaise » écoute ou une écoute mal pratiquée, peut avoir l’effet contraire. « Le classique : écouter une personne en ayant déjà des questions dans notre tête car nous cherchons à amener l’entretien vers un sens spécifique ou un certain objectif, ce n’est pas vraiment de l’écoute », indique Emmanuel Maurice. Et puis, les écoutant, dépendant des challenges de leurs vies personnelles, ne sont pas toujours dans un état d’esprit adéquat pour accueillir comme il se doit la personne en besoin d’écoute profonde. « Je dis aussi aux écoutants qu’ils doivent se sentir aptes à aller faire l’écoute au moment où ils y vont car on est humain et certaines choses peuvent nous affecter dans notre pratique d’écoute. »
Il s’agit, explique José Emilien de parvenir à mettre une barrière entre ses propres émotions et celles des personnes reçues en écoute : « Beaucoup de personnes qui viennent aider sont des personnes qui ont eux-mêmes connu certains problèmes ; il est important pour eux de ne pas absorber le problème des autres. »
« Ce n’est pas toujours évident », soutient Anne-Marie Bhurtun. « On se laisse facilement submerger. Personnellement, en tant qu’ancienne patiente, je dois prendre beaucoup de recul, et parfois ne pas faire d’écoute pendant quelques semaines. Il y a des choses qui sont extrêmement dures pour moi à entendre. Quand quelqu’un me dit : ‘Ou pa kone ki kantite monn soufer’, je le ressens personnellement car je suis passée par les mêmes étapes. »
D’où l’importance d’avoir des rencontres régulières avec les écoutants. Ces rencontres permettent de recadrer les interventions si besoin et d’évacuer les sessions d’écoute difficiles, intervient José Emilien.
Malgré les difficultés, Anne-Marie Bhurtun trouve dans cette pratique énormément de bienfaits. « L’écoute me pernet de partager mon vécu avec des personnes qui ont besoin d’entendre des choses positives, et de leur donner l’espoir que le lendemain sera meilleur. Passer par une maladie comme le cancer nous permet de voir l’importance de la vie et à quel point les gens autour de nous nous aiment. »
L’écoute, un fondement des relations saines
Emilie Duval, Psychologue Clinicienne, anime, avec la Psychosociologue, Mélanie Vigier de Latour – Bérenger, des sessions de formations sur les bases de la communication et l’écoute depuis plusieurs années auprès de différents groupes de personnes – personnes travaillant au sein des fondations, d’ONG, membres du personnel scolaire et personnel de soutien, etc.
Pour elle, « toutes personnes mériteraient d’être sensibilisées aux bases de la communication et de l’écoute car de manière générale car nous avons tous besoin d’apprendre à écouter, à communiquer avec l’autre de manière efficace et appropriée. De pouvoir offrir une écoute de qualité et profonde à ceux qui nous entourent permet aux personnes de sentir moins seules dans ce qu’elles vivent, et d’établir des liens de qualité. »
Ces bases de communication et d’écoute - qui comprennent des notions telles que la place du non-verbal ; l’importance de l’accueil ; les attitudes verbales à éviter dans l’écoute telles que le jugement, donner des solutions, l’évaluation ; inviter l’autre à identifier et nommer ses sentiments, ; la reformulation - sont tant d’outils qui permettent à l’autre personne de se sentir entendue et validée dans ce qu’il/elle partage, dans un climat de confiance et de respect.
Il importe que dès le jeune âge, les enfants s’entrainent à développer ces capacités de communication et d’écoute, explique Emilie Duval. « C’est d’ailleurs ce que nous faisons en partie dans le programme « Les Amis de Zippy » avec les enfants de Grade 2, dans lequel un module est consacré à aider les enfants à développer des bases de communication et d’écoute. »
Au sein des ONG, poursuit-elle, il existe plusieurs types d’écoute. Certains sont là pour écouter les besoins primaires des personnes et y répondre (par exemple : un besoin de logement, de nourriture etc). D’autres sont là pour écouter et accompagner les personnes en souffrance (par exemple : écoute d’une femme victime de violences conjugales).
Selon les services offerts, il importe que les personnes qui travaillent au sein de ces ONG soient sensibilisées et formées aux bases de communication et d’écoute afin de pouvoir mieux répondre aux besoins des bénéficiaires.
Celles disponibles à Maurice se présentent généralement sous formes de formations sur les bases de communication et d’écoute (avec une dimension pratique qui permet d’exercer l’écoute) en commençant par un module sur l’approfondissement de la connaissance de soi.
Le service d’écoute chez Link to Life
Link-to-Life offre depuis sa création, un service de visites à l’hôpital aux personnes atteintes de cancer. Les visites se font le lundi et mercredi entre 10h et 12h aux hôpitaux SSRN (dans le nord) et Victoria (à Candos). L’ONG a eu l’aval du Ministère de la Santé pour des visites à l’hôpital Nehru (Rose-Belle) mais recherche toujours des bénévoles pour cette région afin de lancer le service.
Une rencontre avec la personne a lieu afin de bien situer ses motivations… Puis, vient un temps d’adaptation de trois mois où la personne accompagne le professionnel de Link to Life et assiste, en retrait, aux sessions d’écoute, avant de se lancer elle-même en situation d’écoute pendant trois mois, avec des temps réguliers de supervision. L’engagement demandé est pour une période d’au moins six mois.
Le milieu hospitalier n’est pas un contexte facile pour la pratique de l’écoute - bruits, réticences du patient à parler -. Pour ces raisons, entres autres, avoir des bases d’une formation en écoute est important, soutient Emmanuel Maurice. « J’assure un temps de formation au moment du recrutement de nouveaux écoutants-bénévoles, et lors de nos rencontres mensuelles je fais aussi des études de cas ; mais ceci ne remplace pas une formation à l’écoute. Je dis toujours aux nouveaux écoutants que ce serait un gros plus de se former – même brièvement – dans les techniques de bases d’écoute active. »
Les écoutants de Link to Life sont également les porte-paroles de l’association ; ils font un certain travail de liaison entre les patients et les services disponibles à l’association.
…appeler le 686-0666.
Le service d’écoute chez Befrienders Mauritius
Befrienders Mauritius gère un service d’écoute par téléphone : 800-9393 (hotline) | 467-0160 (bureau) | 5 483-7233 (whatsapp) et beaucoup de personnes contactent l’association à travers sa page Facebook. Le service, qui est anonyme, opère 7 jours sur 7 de 9h à 21h avec des tranches de 3 heures (1-2 volontaires par tranche). L’équipe pratique également l’écoute en face-face sur rendez-vous, dans les prisons une fois par semaine, ainsi que dans deux foyers d’accueil (« homes ») pour personnes âgées. Le service compte 56 bénévoles actuellement, dont une trentaine de bénévoles très actifs.
Befrienders Mauritius a son propre kit de formation calqué sur Befrienders Worldwide à qui elle est affiliée. La formation dure 10 semaines pour 30 heures (3 heures par samedi) et des facilitateurs externes interviennent lors des formations - psychologues pour parler des troubles mentaux et permettre aux écoutants de les détecter, un psychiatre pour la détection de troubles psychiatriques ou des personnes qui interviennent sur l’aspect légal… Les écoutants sont également encouragés à suivre des formations plus poussées en écoute. Et des « Refresher Course » sont régulièrement organisés. L’engagement demandé est pour une période d’au moins un an.
Des sessions de sensibilisation sur la pratique de l’écoute active et la détection de signes chez des personnes aux tendances suicidaires, sont animées par l’équipe dans différents centres pour femmes (Women Centres) et dans des entreprises.
« Retour à la page Actus