L’idée d’« engagement citoyen » s'applique à plusieurs actions. Au-delà de s’impliquer bénévolement dans des activités sociales, chercher de l’emploi en milieu associatif plutôt que dans le secteur public ou privé est une forme d’engagement citoyen. Moduler son mode de vie en fonction de l’impact social positif que l’on souhaite avoir l’est aussi : par exemple, faire du tri sélectif ou recycler ses vieux objets. Rencontre avec deux personnes pour qui l'engagement social est un choix de vie.
Texte paru dans la Page Solidarité de l'Express du lundi 10 février 2020
Livio-Bien-Aimé : la vie, passionnément
Le partage d’expériences humaines profondes est ce qui motive Livio Bien-aimé, 30 ans, à évoluer dans le domaine du social depuis une dizaine d’années. Pour lui, un simple survol des choses, des relations, du monde, a moins d’attrait que de les vivre de plein fouet ! Livio fonctionne avec passion et se nourrit constamment de tout ce qui peut l’aider à se construire. En ONG, les réalités sont crûment exposées, les enjeux sont tangibles et l’impact sur la vie des personnes touchées peut être très percutant !
Le jeune homme, détenteur d’une licence en Tourism, Leisure and Recreation Management et un Post-Graduate Diploma en Communication et Relations Publiques, travaille depuis 2018 comme animateur des thérapies et de la prévention sur les drogues auprès de jeunes bénéficiaires du Centre Frère René Guillemin.
« Me joindre à cette équipe a été un retour à mes motivations d’origine. J’ai grandi dans un quartier où la drogue faisait des ravages autour de moi parmi des jeunes de mon âge, des amis avec qui je jouais quand j’étais enfant. Je ne sais pas exactement ce qui a fait que j’ai eu un parcours de vie différent. Au début, de toute façon, je ne me suis pas trop posé ce genre de questions. La drogue était tellement présente autour de moi que le problème était un peu banalisé. J’ai poursuivi ma route, entamé mes études tertiaires… »
Mais alors que Livio évolue en s’enveloppant naturellement de qualités d’empathie et de compassion, un besoin urgent d’action surgit chez lui. Et un jour, il participe, encouragé par un ami, à un séminaire résidentiel pour des jeunes au centre Lakaz A du Groupe A de Cassis, qui accueille, accompagne et soutient des personnes vivant avec le VIH, travailleurs du sexe et personnes dépendantes aux drogues. « Cette session m’a donné envie d’acquérir de nouvelles compétences et je me suis inscrit à plusieurs formations - spirituelles ou non - en leadership et en renforcement de capacités, notamment. »
A partir de ce moment, il commence à animer des sessions auprès des jeunes de Lakaz A. « Ma vision des personnes dépendantes aux drogues évolue encore. Je me suis mis à voir la souffrance derrière les substances, pour la personne elle-même et pour ses proches. Si la personne essaie d’échapper à sa souffrance en prenant des substances, les parents eux, n’y échappent car ils restent ancrés dans la réalité… »
Au bout de trois ans, il souhaite mettre ses compétences en communication au sein d’une ONG et approche Caritas Ile Maurice, auprès de qui il est déjà engagé à temps partiel en tant que Project Coordinator, et leur propose de s’occuper de leur communication. Il y met en place pas mal d’actions concrètes, dont des formations en communication, et une stratégie de mobilisation des ressources adaptée d’une formation qu’il a l’opportunité de suivre au Kenya.
Après encore trois ans, il rejoint l’équipe du Centre Frère René Guillemin et prend ses fonctions suite à trois mois intenses de formation à Madagascar au sein d’un établissement psychiatrique, « des semaines que je vis dans la peau d’un patient et qui m’amènent à avoir une vision encore plus profonde des personnes souffrant d’une addiction. »
De retour à Maurice, il anime depuis l’an dernier, des ateliers artistiques auprès de jeunes dépendants aux drogues synthétiques, dans des objectifs bien concrets : les conduire à une réflexion plus élargie sur le monde tel qu’ils le voient, les amener à faire face à la réalité, les aider à développer en eux des capacités d’empathie, d’entraide, de patience, d’écoute, et de prise de responsabilité de soi…
En savoir plus sur le Centre frère René Guillemin
Le Centre frère René Guillemin marquait en décembre, sa première année d’opération. Il propose, depuis sa creation, une prise en charge de mineurs dépendants aux drogues synthétiques (14-24 ans). Avec une approche thérapeutique centrée sur des pôles bien définis : écoute et accompagnement ; santé ; réinsertion et réhabilitation sociale (considérer le milieu d’où vient le jeune afin de le réinsérer et le garder autant que possible en connexion avec le circuit scolaire) ; et un système d’accueil de jour (non-résidentiel), le centre propose aussi à différents groupes de jeunes, des ateliers artistiques mêlant expression corporelle, dessins, peinture, musique et danse. Une centaine de jeunes a bénéficié l’an dernier de ces ateliers.
Mario Agathe : bouger pour soi et pour les autres
Pour Mario Agathe aussi, la ferveur de l’engagement vient tout naturellement du quartier où il grandit – à Berthaud - et où une forte mobilisation communautaire s’active pour faire bouger des choses, notamment en ce qui concerne des problèmes d’infrastructure et un manque de loisirs. Dès les années 70, en pleine adolescence, il se joint aux ailes jeunes de différents groupes sociaux dans l’optique de contribuer d’une petite pierre à des améliorations de la qualité de vie des habitants du quartier, particulièrement les jeunes. La promotion du sport et de loisirs sains et une certaine forme d’accompagnement scolaire permet aux groupes dont il fait partie de travailler auprès de jeunes.
L’éducation encore payante à cette époque le contraint à écourter lui-même son parcours scolaire, faute de moyens, et il intègre très tôt le monde du travail. « De toute façon, je travaillais déjà depuis la Form 3 à mi-temps pour financer partiellement mes études. » A 17 ans, il intègre le monde de l’imprimerie, d’abord pour une entreprise privée, puis, un peu plus d’une dizaine d’années plus tard, dans l’imprimerie de l’Etat, son objectif depuis un bout de temps déjà. Il y est encore aujourd’hui.
Son engagement social reste vivant et dynamique depuis toutes ces années et entretemps il suit quelques formations, en leadership social et en écoute notamment, afin d’étoffer et améliorer son approche au sein des groupes communautaires où il intervient. Parmi, une formation en l’an 2000 avec le Nouvel Institut pour le Développement et le Progrès (IDP) tous les week-ends pendant un an. Ce qui l’amène à se joindre à un projet de construction de centre paroissial à La Caverne, dont il est aujourd’hui membre du conseil d’administration. Le centre développe quelques activités auprès des enfants et des jeunes.
« En 2002, je réponds à une annonce du ministère de la Sécurité sociale qui recrute des éducateurs de rue et je suis sélectionné. Je prends un an de congé sans paie à l’Imprimerie et je me lance auprès d’une quinzaine de personnes, dont Edley Maurer (aujourd’hui Coordinateur de l’association SAFIRE), dans le travail auprès d’enfants en situation de rue. Après une formation de 15 jours à la Réunion, trois d’entre nous ont été postés à Barkly. Nous avions pour taches d’identifier les lieux où se trouvaient des enfants en situation de rue, de les observer et de commencer à les approcher. »
La technique d’approche est particulière dans le sens où il est important que l’enfant, déjà en proie à des réalités difficiles, ait suffisamment confiance et se sente écouté pour se livrer et raconter son histoire de lui-même, explique Mario Agathe. « A neuf ou dix ans, ils n’étaient pas scolarisés et dormaient dans la rue, parfois le ventre vide, souvent en sniffant de la colle. Certains d’entre eux n’étaient pas déclarés. » Un travail de réinsertion sociale est entamé par le groupe. Un an après, il retourne à l’imprimerie mais reste en contact avec les éducateurs.
Mais en 2006, le projet s’arrête brusquement. Ne souhaitant pas abandonner les enfants à leurs sorts, un groupe des éducateurs formés, dont Edley Maurer, choisit de poursuivre le travail en formant une association, SAFIRE, et Mario Agathe fait dès les débuts partie du conseil d’administration. Il est aujourd’hui le Président de l’association.
« Au-delà de donner à des enfants en situation vulnérable une éducation académique, maintenir une proximité terrain est ce qui leur donne, à mon sens, la possibilité d’aller plus loin, les aide à découvrir leurs capacités innées et à les utiliser pour rebondir. Je pense qu’il est important qu’ils se sentent valorisés pour accéder d’eux-mêmes à une certaine autonomie. » Peu importe la situation dans laquelle se trouve une personne en difficulté, ajoute-t-il, elle a en elle des ressources qu’elle n’imagine pas et avec lesquels elle n’est plus en contact à cause des barrières sociales et contextuelles de son vécu présent ou passé. « A nous, travailleurs de terrain, de les aider à les (re)découvrir. »
« Retour à la page Actus