Née il y a plus de 22 ans, Eco-sud mène aujourd’hui des actions qui englobent environnement et social, dans une démarche visant à augmenter la résilience des écosystèmes, celle des populations impactées par la dégradation de ces écosystèmes et à augmenter la sécurité et la souveraineté alimentaire de Maurice, tout en ayant à cœur d’inclure à tous les niveaux, les communautés visées… Le point avec Sébastien Sauvage, directeur de l’ONG.
Du projet « Lagon Bleu » établi en 2010 au projet de ferme agroécologique mise en place fin 2020, solliciter l’implication des communautés locales a toujours été important pour Eco-Sud…
Nous pensons en effet qu’il est nécessaire de favoriser les consciences collectives et qu’en travaillant avec les populations en situation de vulnérabilité pour le mieux-être général, il faut que les personnes directement concernées soient engagées dans la conception et le design des projets en vue d’adresser au mieux les problèmes auxquels ils font face. Nous allons donc sur ce qu’on appelle le « community-based approach », soit ne rien imposer mais au contraire, favoriser l’implication de différents niveaux de « stakeholders » très tôt dans la conception des projets. Cela permet d’avoir un meilleur engagement sur les différents projets concernés, d’y apporter un sens d’appartenance des différents acteurs et de créer des liens entre eux.
On le voit concrètement dans le projet ROC (Resilient Organic Community), par exemple, que vous avez lancé en 2020 ?
Par rapport au projet ROC qui vise, entre autres, à faire que la communauté touchée soit renforcée et développe ses capacités d’adaptation via la mise en place d’une relation à la terre, nous avons beaucoup de difficultés à créer, justement, ce lien avec la terre. En fait, il n’y a rien dans notre société actuelle qui favorise les échanges de connaissance au niveau des plantes, ou favorise l’accès à la terre. Le projet ROC a, comme moyen de s’ancrer dans la communauté, sa boutique solidaire, qui permet d’échanger avec les communautés avoisinantes, de leur faire goûter des smoothies faits avec des légumes cultivés dans la ferme agroécologique, qui découle du même projet. C’est un moment pour nous de les accueillir dans le lieu, de leur faire comprendre ce que l’on fait.
En quoi ce projet rejoint vos objectifs stratégiques ?
C’est un projet que nous avons commencé à implémenter en mars 2020, au moment du premier confinement, alors que les citoyens mauriciens ont ressenti à quel point notre pays est dépendant des importations pour se nourrir. Eco-Sud a voulu proactivement se mettre à l’œuvre pour adresser la question de la souveraineté alimentaire. Le désir de mettre en place une ferme communautaire pour adresser ces questions-là est arrivé. Pour Eco-Sud l’agroécologie est le principe fondamental à appliquer à Maurice afin d’adresser notre sécurité alimentaire.
Dans la région où vous intervenez, les impacts économiques des confinements et du naufrage du MV Wakashio se sont en effet bien fait sentir, notamment pour les familles qui vivaient de la mer…
L’écocide due au naufrage du MV Wakashio a accentué le stress sur la région, déjà existant du fait de la situation de confinement survenue juste avant ; mais en parallèle, tous ces événements ont fait remonter une sorte d’éveil de conscience de la population en générale sur différents sujets. Au-delà de la question de l’alimentation et du fait que la communauté dans son ensemble a senti la nécessité de faire un retour à la terre, l’impact du changement climatique, celui de la dégradation des écosystèmes naturels, du pillage des ressources marines, de l’urbanisation sauvage qu’il y a sur les côtes, sont des questions qui ont soulevé différentes initiatives dans la région. Des initiatives lancées à différents niveaux – citoyens, propriétaires terriens…
Il y a eu beaucoup de fonds récoltés via le Crowdfunding à la suite du naufrage du MV Wakashio et ses répercussions sur les côtes du sud-est. Vers quels projets avez-vous réparti ces fonds ?
Les fonds ont servi jusqu’ici à mettre en place des actions pour la conservation des écosystèmes ; nous avons lancé une boutique solidaire pour soulager les familles dont les revenus dépendaient essentiellement de la mer et qui se retrouvaient en difficulté alimentaire avec le partenariat d’autres ONG, elles spécialisées dans la prise en charge sociale de personnes en situation de vulnérabilité (Mahebourg Espoir et Caritas de Mahebourg) ; nous avons aussi travaillé sur un projet de conservation de coraux dans le lagon de Pointe d’Esny ; et puis nous avons lancé des appels à projets en décembre 2020 pour financer des initiatives individuelles, associatives, coopératives ou entrepreneuriales qui allaient dans le sens d’une démarche de conservation de l’environnement ou de travail auprès des populations impactées pour les aider à trouver des revenus alternatifs. Nous avons reçu une quarantaine de projets et nous en avons sélectionné onze. Ces derniers ont été implémentés dans les six mois à un an suivant le financement et nous les avons financés à hauteur d’un maximum de Rs 300,000 par projet. Nous avions aussi mis en place une cellule médicale et psychologique. La cellule psychologique à été active jusqu’au mois dernier. Nous pensons que les autorités devraient faire un suivi sur le long terme des populations qui ont été en contact direct avec l’huile du MV Wakashio.
Vous parlez beaucoup de « résilience » en définissant les projets que vous menez au niveau de Eco-Sud, notamment dans votre rapport d’activité 2020 qui fait état de l’évolution de vos directions stratégiques. Dans quelle mesure cette notion d’apporter de la « résilience » dans les communautés que vous touchez et les projets menés est importante dans l’impact que vous souhaitez avoir ?
La résilience est pour nous, la capacité qu’ont les êtres vivants à changer leur comportement pour survivre, dans une dynamique de se mettre debout et de créer une force ; nous utilisions beaucoup ce terme dans notre jargon qui parle de l’écosystème, notamment au niveau de l’impact des activités humaines polluantes sur la biodiversité. Quand nous disons que nous souhaitons « agir pour la résilience des écosystèmes », nous parlons de comment enlever la pression humaine négative sur les écosystèmes – celle de la pollution notamment – et comment se remettre en état de fonctionner pour faire face à la grande vague du changement climatique et son impact sur la biodiversité.
Et aussi sur les populations que vous touchez par ricochet… puisque vous le disiez, il y a maintenant un volet socio-économique, qui fait partie de la stratégie de travail de Eco-Sud ?
Oui, pareil pour le facteur humain ; si nous aidons les communautés à développer d’autres capacités : notamment au niveau de la cultivation des plantes et aliments pour leur propre consommation - des aliments moins intoxiqués par les pesticides -, si nous développons chez elles des compétences qu’elles peuvent implémenter chez elles en retournant à la terre, si nous partageons notre savoir en rapport à la relation à la vie et à ce qui nous nourrit, cela nous permet de créer des communautés plus fortes, plus autonomes, plus résilientes.
C’est ce qui va dans le sens du projet de ferme communautaire qui est en place à Ville Noire sous le projet ROC depuis l’an dernier ?
En effet. Parce que nous n’avons rien à faire ici à Maurice pour avoir tout ce qu’il faut en termes d’alimentation tout au long de l’année. Je ne crois pas que Dubaï ou Singapour soient les modèles appropriés pour nous, qui sommes un pays tropical. Nous devrions restaurer le système de « food forest » qui est adapté au pays tropical, où poussent patates douces, arouilles, violettes, bananes, papayes, fruits à pain, manioc, entre autres…
Quels sont les autres projets que vous menez actuellement ?
Nous sommes actuellement à mettre en place un gros projet de restauration de coraux avec la collaboration du UNDP ; un projet étalé sur cinq ans pour planter 1.5 hectares de coraux, et qui encore une fois, engage une grosse composante d’implication communautaire. Nous venons de former 43 personnes pour travailler avec nous sur un système de rotation pour la restauration des coraux ainsi que pour la fabrication et l’entretien de « nurseries ».
Quelles sont les stratégies et lignes directrices de Eco-Sud aujourd’hui ?
Améliorer à travers des initiatives locales, la résilience communautaire en poussant pour la reconnaissance des droits de la nature dans le cadre légal mauricien, en incluant les communautés locales dans les projets de conservations et en travaillant pour augmenter la sécurité alimentaire et la souveraineté alimentaire. En plus d’un objectif satellite qui est de réduire la pauvreté des communautés impactées par la dégradation de l’environnement et du changement climatique.