A l’Atelier Mo’Zar, Roche-Bois, les talents musicaux, nourris par de bienveillants encadrants, et pas des moindres, émergent et fleurissent, deviennent passion, s’envolent parfois, ou sinon voyagent… dans les quartiers, entre les ruelles, jusque dans les foyers ; et aussi dans le temps, au fil des années. Quelquefois, à force de persévérance, des portes s’ouvrent pour certains vers des horizons encore meilleurs, inespérés. La note pour accéder à ces objectifs est mélodieuse mais salée.
Axel Hon Fat, 21 ans, et Jazzy Christophe, 19 ans sont deux jeunes musiciens formés par l’Atelier Mo’zar qui ont décroché des bourses pour des études supérieures dans l’une des plus prestigieuses écoles de musique au Monde, la Berklee College of Music, aux Etats-Unis. Axel et Jazzy travaillent dur depuis une dizaine d’années pour atteindre cet objectif ; les admissions sont très sélectives et ils ont passé plusieurs auditions aux côtés de milliers de jeunes pour obtenir ces bourses, qui couvrent une partie des frais de scolarité.
L’ONG essaie actuellement de réunir les sommes nécessaires pour couvrir les frais additionnels, au moins pour la première année d’études, puisqu’une fois sur place, les deux jeunes passeront d’autres auditions pour essayer d’accéder aux étapes supérieures via de nouvelles bourses d’études et ainsi obtenir leurs diplômes. Si les deux jeunes réussissent à terminer leur scolarité sur les trois années requises, ils seront les premiers diplômés de Berklee suivis par Mo’Zar, sur les traces de Philippe Thomas, l’actuel directeur artistique de Mo’Zar, un ancien élève de Berklee.
A propos d’Axel :
Deuxième d’une fratrie de 3 enfants, Axel Hon Fat vit depuis toujours à Camp Zoulou, Port-Louis. C’est vers l’âge de 10 ans qu’il intègre Mo’zar, d’abord en y apprenant la Batterie, puis le Saxophone. Malgré un parcours académique compliqué, Axel obtient son Higher School Certificate (HSC) en 2020, et se démarque en décrochant la première place au classement « Musique » de Maurice. En 2019, Axel obtient une première bourse du Berklee College of Music lors d’un stage organisé en Italie, ce qui lui permet de suivre une « Summer Class » en ligne (pandémie-oblige) en juillet et août 2020. Pendant ce stage, il passe une audition au cours de laquelle il décroche une bourse partielle de $8000 de la même école pour une admission en septembre 2021. Pour partir, il lui reste encore à réunir Rs 1.3 millions de roupies qui représente une année de campus, l’assurance, les équipements requis pour les cours etc.
A propos de Jazzy :
Jazzy Christophe est l’ainé d’une famille de deux enfants et a fait la connaissance de José Thérèse, le fondateur de l’Atelier Mo’Zar vers l’âge de quatre ans. Sur recommandations de ce dernier, les parents de Jazzy l’inscrivent à Mo’Zar dans sa huitième année et il débute avec le Saxophone Alto. Il persévère et obtient à 16 ans, lui-aussi à l’issue d’un stage en Italie (en 2018 pour lui), une première bourse du Berklee College of Music (BCM) pour une « Summer Class », qu’il intègre en juillet 2019. Il y décroche une bourse de $30,000, qui représente une partie des frais académiques pour la première année d’études supérieures dans cette même école.
En 2020, il obtient une autre bourse pour un stage du BCM dans le cadre du Newport Jazz Festival, mais cet événement est annulé à cause de la Covid-19. L’école lui propose à la place une « Summer Class » en ligne, à l’issue de laquelle il obtient une bourse de $45,000, qui représente cette fois la totalité d’une année d’études au Berklee College of Music, mais qui exclut pour lui aussi les frais associés... Son admission est prévue pour mai 2022, le temps qu’il passe son Higher School Certificate, ce qu’il fait en candidat libre, en novembre cette année, puisqu’obtenir son SC et son HSC est un critère demandé par l’Ecole., en plus d’avoir un très bon niveau en musique et en anglais.
Questions à Valérie Lemaire, direcrice de l’Atelier Mo’Zar :
- Mo’Zar a plein d’exemples comme ça, de jeunes qui se sont démarqués et ont attiré l’attention de prestigieuses écoles de musiques à l’international. Pouvez-vous en citer quelques-uns ?
En juillet, soit le mois prochain, nous avons, si tout va bien, un jeune de 14 ans (Jérémie), qui part pour Boston pour un stage de cinq semaines. Jeremie est bassiste et il a été repéré par Berklee depuis qu’il a 11 ans. En février 2021, il a reçu d’eux une dérogation pour prendre part, malgré son âge, aux auditions afin d’obtenir une bourse complète pour ce stage de juillet, réservé normalement aux plus de 15 ans. Et il a été choisi ! Il l’a même obtenu du premier coup. Il faut savoir que l’entrée dans cette école est très sélective, ils ne prennent que les meilleurs. Il s’agit de l’une des meilleures écoles de musique au monde, en tout cas pour ce qui concerne le jazz - et ils offrent tous types de formations en rapport avec la musique, pour devenir chef d’orchestre par exemple.
Que ce soit Axel, Jazzy ou d’autres, ils passent tous s’ils le souhaitent par les stages de Berklee en Italie, notamment les « Summer Class » ; nous essayons d’y conduire les jeunes depuis 2018. Ce passage leur donne l’occasion de prendre part à des auditions pour décrocher des bourses. En 2018, on y avait emmené 10 jeunes, dont Jazzy. Il y avait environ 2500 jeunes de quelque 35 pays différents ! Jazzy a passé plusieurs auditions très sélectives et a eu sa place parmi les meilleurs en décrochant la bourse pour sa première année d’études.
Il y a un autre, de nos jeunes, Stahn, qui a obtenu, en même temps qu’Axel, une bourse de $10,000, mais qui a souhaité attendre pour partir parce qu’il ne se sentait pas encore prêt. Ce qui est énorme parce que cela prouve qu’ils ont retenu l’intérêt de Berklee et auront l’occasion d’obtenir des bourses pour la suite. L’année où Axel avait été classé 1e en « Musique » pour la HSC, Stahn avait été classé 2e. Malheureusement, à Maurice si on termine 1e en Musique, il n’y a pas cette possibilité d’être lauréat, comme il peut y avoir pour le « Art and Design » par exemple…
Puis nous avons encore de nouveaux talents qui montent. L’année prochaine, nous souhaitons faire cinq filles participer au stage en Italie.
- De manière générale, les encadrants à l’Atelier Mo’Zar visent une exposition internationale pour tous les jeunes qui pratiquent la musique chez vous, s’ils le souhaitent et s’ils travaillent suffisamment dur. Mis à part la possibilité de faire des stages, il y a la participation dans des festivals internationaux de renom… Qu’est-ce que cela apporte de plus au travail de fond que vous effectuez auprès de ces enfants ?
Pour un enfant qui vient d’un quartier difficile, miroiter la possibilité d’être diplômé de Berklee, cela lui change la vie, cela change la vie de ses parents... Pour des jeunes issus de situations très vulnérables et qui n’avaient pas la chance de voir grand-chose en dehors de leurs quartiers, voyager à l’autre bout du monde en étant soudain visibles sur le plan international grâce à leur talent apporte une valorisation énorme.
Lorsqu’ils se sont déplacés pour des festivals ces dernières années, ils ont été accueillis en grandes pompes par les organisateurs, ont reçu de l’attention médiatique puisque les organisateurs avaient préparé tout un dossier de presse avec leur biographie. A Rio, le concert des Mo’Zar a été retranscrit sur une grosse radio de Jazz.
Cette année de 2019 au Brésil, beaucoup de nos jeunes prenaient l’avion pour la première fois. Il s’agissait du plus gros festival de jazz et de blues du continent sud-américain. Une équipe de tournage belge était avec nous pour un documentaire qui est toujours en cours de réalisation. Mo’Zar a fait l’ouverture et la fermeture de ce festival, a joué sur une scène immense et devant des milliers de personnes. Les enfants signaient des autographes. Ils ont même une photo avec Lucky Peterson, l’un des plus grands bluesmen au monde, décédé l’an dernier !
En plus de la valorisation indéniable que tout ceci leur apporte, leur confiance en eux est boostée, leurs rêves et leurs ambitions sont nourris, ils ont envie d’aller encore plus loin, et cela met aussi très tangiblement devant leurs yeux le résultat d’un travail acharné.
- En effet, l’on n’intègre pas des écoles comme la Berklee College of Music sans un travail acharné. Est-ce que tous les Mo’Zar sont aussi motivés ?
Jazzy pratique son instrument au moins 5h par jour ! Axel c’est pareil, il travaille sur son instrument énormément. Si Jérémie a atteint un tel niveau à cet âge-là, c’est qu’il travaille beaucoup. A Mo’Zar les services sont gratuits, mais nous n’avons pas beaucoup de places. Nous achetons des instruments que nous leurs prêtons et il n’est pas question que les instruments soient mis de côté ; ils ont la responsabilité de pratiquer leur instrument tous les jours. Dès le plus jeune âge, ils cultivent cette habitude, et ils savent que pour nous c’est une condition sinequanone.
Quand nous regardons nos jeunes qui décrochent des bourses lors de ces stages internationaux, ce que nous voyons devant nous, ce sont des jeunes de Mo’Zar à Roche-Bois, Ile Maurice, qui ont la chance de côtoyer, par leur talent et leur travail, d’autres jeunes qui viennent de partout dans le monde et qui débarquent avec des moyens conséquents depuis des écoles prestigieuses.
- Mais vous essayez quand même de leur donner des moyens pour qu’ils puissent aller plus loin.
Biensûr. Nous cherchons du financement pour acheter des instruments de qualité pour qu’ils puissent se rendre dans ces stages, par exemple, ce qui n’est facile à trouver. Nous luttons pour eux mais en gardant un esprit positif.
- Difficile de faire comprendre l’importance de vos programmes aux potentiels financeurs ?
Oui, quand nous demandons du financement pour acheter des billets pour un concert, parfois c’est considéré comme du loisir. Or, il s’agit de leur donner encore une fois une exposition à ce qui se fait musicalement. Difficile aussi de faire comprendre la portée que peut avoir la musique sur un enfant. Chez nous, nous avons eu 100% de réussite aux derniers examens du PSAC. Parmi eux : une petite qui est arrivée chez nous avec un gros problème de dyslexie, et qui était sujette à du bullying à l’école. La musique lui a redonné confiance en elle. La musique apprend aux enfants la discipline, le respect, la précision, et leur apprend à mieux se structurer. Et lorsqu’ils arrivent à un certain résultat, ils sont fiers d’eux. De plus, la réussite des plus grands est une carotte pour les plus petits. Ils savent qu’eux aussi, un jour, ils auront les mêmes opportunités. Ils écoutent les plus grands jouer avec de grands yeux.
Pour soutenir l’Atelier Mo’Zar et les jeunes suivis, et pour aider Axel et Jazzy à poursuivre leurs études supérieures, il est possible de contacter l’ONG par email : mozarespaceartistic@gmail.com.