Chrysalide, qui prend sous son aile des femmes dépendantes aux drogues, dont l’alcool, est en pleine restructuration, après avoir travaillé plusieurs mois sur une nouvelle direction stratégique. Services repensés pour maximiser l’impact de la démarche thérapeutique, discussions entamées pour étendre ou améliorer le soutien aux public-cibles élargis – soit la famille et les enfants –… Le point de départ de toute la réflexion a été le rapport d’une étude demandée par l’ONG elle-même à la firme StraConsult, afin d’établir un diagnostic de l’organisation et de son fonctionnement, et d’évaluer si elle répondait bien aux besoins actuels de ses bénéficiaires.
Questions à Georgette Talary, directrice de Chrysalide depuis début 2021
- Dans le rapport de l’étude de StraConsult, la génétique est évoquée comme l’un des deux facteurs pouvant amener un comportement d’addiction. Pouvez-vous expliquer en quoi ?
Statistiquement parlant, l’enfant dont un ou les deux parents ont une addiction aux substances, présente des risques plus élevés de développer le même comportement, comparé à un autre enfant. Mais cette réalité ne doit pas être traitée en isolation. Il y a aussi le fait que l’enfant va associer certains sentiments aux comportements de ses parents. Par exemple quand papa est en colère, il boit de l’alcool ou quand maman souffre, elle prend de la drogue.
- Donc, l’enfant décrypte cela comme la normalité et adopte aussi ces comportements ?
Oui, une manière de soulager sa souffrance, surtout liée aux émotions. Au risque de choquer, je dirais même que pour cet enfant, cela peut être considéré comme les valeurs qui lui sont transmises dans sa famille. Rien à faire avec le concept de bien ou de mal, mais c’est son seul repère, tout comme la musique ou les études peuvent l’être pour un autre enfant.
- Quelles sont les spécificités de la question de l’addiction au féminin par rapport aux hommes en situation de dépendance ?
Dans la société, les rôles attribués au genre féminin dans les différentes cultures, ainsi que les attentes qui y sont liées, exposent davantage la femme à la pression sociale, comparé à l’homme. La femme est celle qui porte l’enfant, qui doit veiller à son bien-être et à qui l’on attribue la responsabilité de la transmission des valeurs.
- Quels sont les aspects de l’addiction où la question du genre fait effectivement une différence ?
En termes de santé, la forte consommation d’alcool peut provoquer l’infertilité chez la femme et les drogues peuvent dérégler la menstruation, avec comme conséquences des grossesses non-désirées par exemple.
Pour la question du soutien, lorsqu’un homme décide d’intégrer un programme de réhabilitation, toute la famille se mobilise pour le soutenir en prenant le relai de ses responsabilités. Pour la femme, le manque de soutien est une barrière dès le départ. Si les deux partenaires souffrent de l’addiction, le pont est coupé avec la famille et la question de qui prend la responsabilité des enfants se pose.
Puis, la société, plus tolérante envers les hommes, critique et juge sévèrement la femme, qui ensuite, hésite à faire la démarche de demande d’aide.
Malgré son addiction aux drogues, la femme est souvent cheffe de la famille, dont elle a la charge financière. A Chrysalide, nous avons souvent vu des femmes arrêter le programme de réhabilitation parce que la famille fait face à des difficultés financières graves. Elle va aller « tracer » pour subvenir à leurs besoins au détriment de son besoin à elle.
- Les enfants, la charge émotionnelle, les regards stigmatisants de la société… La femme en réinsertion sociale rencontre donc définitivement plus de difficultés à se remettre sur pied, par rapport à l’homme…
Les difficultés sont nombreuses, surtout dans une petite île où tout le monde connaît tout le monde et ou l’indiscrétion est monnaie courante. Il faut comprendre que l’addiction est liée aux émotions et à l’incapacité de les reconnaître et les exprimer. Lorsqu’il s’agit de la femme, la charge émotionnelle est plus conséquente, puisque cette dernière est sans cesse jugée dans son statut de femme, son rôle de fille, d’épouse et de mère. Souvent, dans la famille et dans la société en général, l’accent sera mis sur ses échecs et faute d’avoir un espace pour mettre des mots sur ses ressentis, ses émotions, elle voit sa charge émotionnelle déborder et se transformer en un comportement d’auto-destruction.
- Quelle est l’importance de la phase de réinsertion dans le programme de réhabilitation ?
La réinsertion est le moment de vérité pour la personne suivie en réhabilitation. C’est là qu’elle ira mettre en pratique ce qu’elle a acquis de son passage dans la communauté thérapeutique, en termes de socialisation, de relation interpersonnelle, de gestion des émotions, d’affirmation de Soi et des principes du « vivre positivement ».
Pour confirmer si elle y arrive, il faudrait mettre en place un réseau avec tous les acteurs sociaux et que la politique en matière d’emploi et de logement prenne en compte cette population de femmes cheffes de famille, qui ne demandent pas l’aumône, mais des programmes de soutien et d’accompagnement leur permettant d’atteindre l’autonomie. Ne pas considérer cet aspect de la réhabilitation serait faire échec aux efforts déployés pour traiter la problématique de drogue à Maurice.
- L’exercice d’auto-évaluation est venu souligner, parmi les points principaux soulevés par les bénéficiaires interrogées, (i) le besoin de plus de flexibilité dans le règlement de Chrysalide, et (ii) le besoin de désuniformiser la prise en charge car les réalités des bénéficiaires et les contextes de leurs arrivées respectives au centre varient… Qu’avez-vous noté d’autres ?
Nous sommes convaincus que la réussite d’un programme de réhabilitation réside dans la capacité de l’organisation à comprendre les besoins de ses bénéficiaires et à mettre en place les dispositions pour y répondre. C’est ce à quoi Chrysalide s’est attelée depuis l’année dernière avec l’expertise d’un consultant, pour donner suite au rapport de StraConsult. Le rapport met aussi en avant le besoin de formations dans le domaine de la réhabilitation, ainsi que les multiples services qui étaient offerts par Chrysalide avec peu de ressources, la qualité d’accueil des bénéficiaires, les programmes de nutrition, entre autres…
Aujourd’hui, les ressources ont été renouvelées, il y a eu de la formation structurée autour des compétences, en restant à l’affût des nouvelles pratiques « evidence-based practices » de la Communauté Thérapeutique à l’international et Chrysalide est prête à accueillir.
- En tant que directrice, quelle est votre vision pour l’association ?
Je vois Chrysalide comme un « One-Stop Centre » dans le domaine de l’accompagnement, la formation et la réinsertion sociale des femmes en lien avec les Objectifs de développement durable des Nations Unies (SDGs), afin de réduire les vulnérabilités et créer plus d’opportunités pour la génération future. D’ailleurs, Chrysalide travaille déjà sur un projet intégré de réhabilitation et d’employabilité.
Chysalide aujourd’hui
Les axes de direction stratégique
(i) Focaliser les services sur la famille – prise en charge et écoute des proches, services psychosociaux pour les proches, sensibilisation de la famille à la prise en charge et aux besoins de la personne dépendante
(ii) Mettre plus d’accent sur la réintégration sociale dans le processus de réhabilitation – soit travailler sur l’après pour éviter les rechutes.
(iii) Etablir et consolider un réseau avec d’autres acteurs – ce, dans les différents endroits et mettre en place des permanences d’écoute.
(iv) Positionner clairement Chrysalide comme un projet intégré pour les femmes en réinsertion
Restructuration des services
Selon Georgette Talary, deux services principaux qu’offraient jusqu’ici l’association avaient besoin d’être repensés pour des raisons très claires :
- L’accueil des enfants
Chrysalide accueillait jusque-là dans son service résidentiel, les femmes en situation d’addiction avec leurs enfants. Cependant, l’exercice d’évaluation a permis de faire ressortir que la présence des enfants dans l’espace de la communauté thérapeutique chamboule le processus de thérapie.
Pour que celle-ci soit efficace, la personne doit pouvoir s’exprimer librement, laisser échapper ses émotions sans tenter de les réprimer, ce qu’elle fait généralement si son enfant est présent.
« Le sens même de la thérapie fait que la personne est confrontée à des réalités et à ses sentiments, elle est interpellée sur son comportement pour que se déclenche le travail sur soi. Dans un de nos outils de thérapie, si la femme est trop chamboulée, on lui donne un moment où elle se coupe du reste de la communauté thérapeutique, n’a aucun contact avec qui que ce soit, entame une réflexion et note ses sentiments dans un cahier, même au milieu de la nuit. Tout ce travail ne peut être fait si son enfant est avec elle. »-
L’ONG réfléchit ainsi actuellement à un meilleur moyen de prendre en charge les enfants – soit les accueillir dans un espace totalement séparé qui serait géré par une équipe dédiée et formée et avec des activités répondant aux besoins des enfants, soit établir des partenariats étroits avec d’autres ONG de la région qui pourraient prendre en charge les enfants le temps de la thérapie de la maman.
- L’accueil des nouveaux bénéficiaires
La désintoxication médicale des nouvelles arrivantes chez Chrysalide avait aussi besoin d’être repensée. Jusque-là, cette étape se faisait directement dans la phase résidentielle et le processus de thérapie se faisait en parallèle. Or, soutient Georgette Talary, nous avons réalisé que cette configuration n’était pas idéale.
« Déjà, les patientes en désintoxication ne sont pas en condition optimale pour le travail de thérapie sur elle-même ; elles sont sous médication, parfois somnolentes et fatiguées. Ensuite, il y avait le besoin de séparer les patientes en désintoxication médicale de celles en thérapie.
La communauté thérapeutique fonctionne sur le principe de « peers », les nouvelles arrivantes ont un vis-à-vis avec lequel elles échangent. Les patientes qui sont déjà dans la phase de thérapie ne peuvent pas avoir pour vis-à-vis des patientes qui sont encore en désintoxication, soit qui n’ont pas les idées claires et qui sortent tout juste de leurs phases d’addiction avec les comportements normaux de révolte et de colère associés. Cela n’aide pas les anciennes car cela les renvoie à leurs propres luttes. »
L’idée est donc d’intégrer dans l’accueil des nouvelles arrivantes, une étape de pré-orientation qui inclurait la désintoxication médicale, donc avant la phase résidentielle. Concrètement, cela se traduira en une visite à Chrysalide toutes les semaines où elles seraient vues par le médecin sur place ainsi qu’un responsable thérapeutique pour travailler sur leur motivation à intégrer le programme thérapeutique ; le thérapeute verrait aussi la famille pour que celle-ci soit inclue dans le processus de la désintoxication médicale et la prise de traitement. Seulement après évaluation du médecin et du thérapeute et « phasing out » graduel des médicaments, la patiente sera intégrée à la communauté thérapeutique.
Les principaux services offerts
- Désintoxication médicale et counselling pré-programme résidentiel | de 4 à 6 semaines
- Orientation en résidentiel | 2 mois
- Réhabilitation résidentielle (la communauté thérapeutique) | 4 mois
- L’accompagnement en phase de réinsertion – employabilité, formation, retour à la vie active et familiale
- Thérapie familiale
Les contactsChrysalide de trouve à Bambous juste à côté du Stade Germain Commarmond. Pour les contacter et en savoir plus sur les services :
Tel | 452 5509, 489-8111
Email | crysalid@intnet.mu