Après 3 années passées hors du pays, Bernard d’Argent, ex-programme coordinateur d’ANFEN, est de retour à Maurice avec de nouvelles compétences en family counselling. Des services, que ce professionnel propose aux ONG, notamment.
- Comment avez-vous employé ces trois années passées hors de Maurice ?
Bernard d’Argent : - Pendant la première année, j’ai suivi une formation pour devenir Family Counsellor à Melbourne. Et j’ai travaillé pendant 2 ans, dans une clinique privée, pour développer une branche d’accompagnement psychosociale mettant à profit l’approche systémique.
Ensuite, j’ai voyagé pour me consacrer à des missions volontaires. Je me suis rendu en Inde où j’ai pu mettre en pratique la thérapie familiale au sein de Calcutta Rescue. Une expérience inspirante, puisque cette ONG fait beaucoup avec des moyens minimes en terme de prévention de l’échec scolaire auprès des jeunes vivant dans les bidonvilles.
Ensuite, à Athènes, je me suis engagé dans l’équipe de Caritas pour apporter un soutien, notamment logistique et alimentaire aux réfugiés afghans et iraniens qui transitaient par la Grèce pour rejoindre les pays plus au Nord.
- L’approche systémique vous intéresse depuis plusieurs années et c’est celle que vous avez choisi d’appliquer en particulier, en tant que professionnel…
J’ai étudié plus en profondeur l’approche systémique à Melbourne, mais en effet, depuis plus de 10 ans, j’ai un intérêt croissant pour cette approche. En 2006, j’ai participé à une conférence à Madagascar et j’ai fait la connaissance d’une psychologue belge, Nadine Chantry, investie dans le domaine de la protection des enfants et formée en approche systémique. Ensuite grâce à un partenariat avec l’ONG ANFEN, Nadine est venue nous appuyer à Maurice pour qu’ANFEN développe l’accompagnement psychosocial des élèves et de leur famille, à partir de l’approche systémique. En 2014, lors d’un de mes passages à Maurice, nous avons même eu l’occasion de co-animer, Nadine et moi-même, une formation.
- Qu’est-ce qui caractérise l’approche systémique ?
L’approche systémique considère que l’humain ne vit pas isolé, puisqu’il évolue dans les dimensions physique, psychologique, spirituelle, sociale… L’approche est holistique : L’individu doit donc être considéré dans toutes ces dimensions. Et ces systèmes sont liés et imbriqués : la famille, les voisins, le milieu scolaire ou professionnel, la communauté… Dans l’approche systémique, on considère qu’une action sur un système a toujours des répercussions sur un autre système. Un problème existant toujours dans un contexte plus large…
- Un contexte qu’il faut analyser…
Exactement, quand l’individu se présente dans une session de counselling avec un problème, on ne regarde pas ce problème uniquement dans la perspective de l’individu, on examine le contexte plus largement. D’où le besoin d’inviter en session les proches de l’individu pour comprendre leur perspective, leur lecture du problème rencontré par la famille… puis les encourager à partager leur perspective, ce qui nécessite de créer l’empathie entre les membres d’une famille et à ne plus focaliser le problème sur une seule et unique personne mais à le considérer comme un « problème qui dit quelque chose de la famille » et des relations entre ses membres. Cette analyse permet au final à la personne de se sentir mieux comprise en profondeur et l’encourage à laisser parler de ses émotions.
Le family counsellor pose également un regard résilient sur la personne. Le family counsellor doit toujours garder en tête : « he/she does the best as he/she can ». Il fait le bilan des ressources internes et externes existantes, en étant convaincu que l’individu a les capacités de s’en sortir en puisant dans ses forces... Et point essentiel, jamais le family counsellor ne prétend avoir la solution pour l’individu.
- Ce sont les connexions entre les individus qui comptent beaucoup, selon l’approche systémique ?
Oui, nous passons notre vie en relation avec les autres et logiquement, plus nous entretenons des relations saines avec les autres, plus nous nous sentons bien. Des recherches ont démontré de manière constante que les relations familiales sont les plus primordiales pour l’épanouissement d’un individu.
Par exemple : si un enfant a un mauvais comportement à l’école, j’examine le contexte plus large et en principe la thérapie ne se fait pas qu’en « one on one » avec le jeune. Ainsi, s’il faut travailler à rétablir les relations dans une famille dysfonctionnelle, une des étapes va être de créer l’empathie entre les proches… Avant l’empathie, tout un travail sur soi doit être mené par chaque membre de la famille : une autoévaluation. Une seule session peut suffire pour certaines situations.
- Le travail sur soi est aussi une étape importante dans la formation même des family counsellor ?
Tout à fait. Pour pouvoir être à l’écoute de l’autre, je dois prendre du recul par rapport à mon propre vécu, sinon le risque c’est que mon écoute soit totalement perturbée. En plus du travail sur soi, il est aussi indispensable d’être supervisé. C’est essentiel de ne pas travailler seul et j’échange de manière régulière avec Nadine Chantry.
- Parmi les outils que vous utilisez, le génogramme, de quoi s’agit-il ?
Cet outil est utile pour identifier les informations pertinentes en remontant 3 générations d’une même famille. On ne peut pas changer le passé, mais on peut changer son regard sur le passé et comprendre l’impact de la famille sur les difficultés présentes peut permettre de casser le cycle des « patterns » qui se reproduisent. Pour changer quelque chose dans sa vie d’aujourd’hui, il faut d’abord comprendre ce qu’on doit changer… en s’arrêtant sur son histoire passée.
- Le counselling familial parait compliqué…
Disons que c’est plus difficile d’avoir plusieurs individus en face de soi (2, 3, 4, 5… ) qu’un seul. Il faut entendre, puis comprendre chaque personne, et ne prendre parti pour aucun en particulier. Il faut aussi être expérimenté dans le sens de « savoir gérer les échanges », pour éviter qu’ils ne dégénèrent ! Chaque médiation est challenging ! On rencontre d’abord chacun en individuel jusqu’à ce que tous soient prêts à travailler ensemble. C’est une mission de longue haleine… Mais parfois simplement rétablir le lien entre deux systèmes, peut stabiliser l’ensemble.
- En plus de la thérapie familiale, le développement communautaire vous passionne…
- Oui, avant même de quitter Maurice, en plus de mon travail à ANFEN, je faisais partie du service d’écoute de Caritas pour la région Ouest (Chamarel, La Gaulette, Case Noyale et Le Morne). Cela remonte à plus de 10 ans. Naturellement, en me réinstallant dans la région, j’ai repris mes engagements de volontaire pour l’écoute à Caritas et aussi pour les projets de développement communautaire de l’ONG Soleil de l’Ouest, qui me tiennent à cœur. Sur le plan professionnel, je suis en mission pour le réseau ANFEN et aussi pour le centre ANFEN Mahebourg Espoir, mais j’ai encore du temps disponible, si des ONG souhaitent me contacter pour d’autres projets.
Bernard d’Argent Tel : 57 65 21 02
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